Il n’y a pas d’école sans maître. Il n’y a pas de maître sans élève. Une école sans maître est comparable à un navire sans capitaine. De même un maître sans élève ressemble à un coach sans joueur. L’école théologique de Kinshasa reconnaît dans la figure de Son Excellence Mgr Tharcisse Thsibangu, l’un de ses maîtres fondateurs. En effet, c’est ce Prélat catholique qui, dans ses différents travaux sur l’épistémologie théologique, a donné à l’école de Kinshasa, ses questions fondamentales, sa méthodologie de base et pour tout dire son orientation décisive et ses lettres de noblesse.
L’Université catholique du Congo rend un hommage vibrant à ce grand Maître en science et en humanité, pionnier de la théologie africaine : Monseigneur T. Tshibangu Tshishiku. Brillant Etudiant de la première promotion de la Faculté de Théologie de l’Université Lovanium en 1957, licencié en théologie en 1961, il obtint son Doctorat à l’Université de Louvain en 1963 et son Magistère en Théologie en 1965. Après ses études, Mgr T. Tshibangu se lance dans une carrière académique et scientifique remarquable et remarquée : Professeur à la Faculté de théologie de l’Université Lovanium en 1965, Vice-Recteur en 1966 puis Recteur de la même Université en 1967. De 1971 à 1981, Il est Recteur de l’Université Nationale du Zaïre puis Président du Conseil d’Administration des Universités du Zaïre depuis 1981. Monseigneur Tharcisse Tshibangu assume alors de hautes responsabilités dans plusieurs Universités et différentes Associations savantes à travers le monde. Retenons notamment : Membre de la Commission Théologique Internationale (Rome), Président de l’Association des Universités Africaines (AUA), Membre du Conseil d’Administration de l’Association des Universités partiellement ou Entièrement de Langue Française (AUPELF), Membre du Conseil d’Administration de l’Association Internationale des Universités (AIU), Membre du Comité International de la civilisation et la culture hispaniques, Membre de World Federation of Scientific Wolker, Membre du Conseil d’Administration de la Fédération Internationale des Universités Catholiques (FIUC), Président de la Conférence des Recteurs des Universités Africaines Francophones, Membre du Conseil d’Administration de l’Université de Zambie, Membre du Conseil d’Administration de l’Université Nationale de Lesotho, Membre du Comité de l’Association Mondiale de prospective Sociale (AMPS), Membre du Comité Fondateur de l’Union Panafricaine pour la Science et la Technologie (UPST), Membre du Conseil Scientifique de la Fondation Il Futuro dell’Uomo (Florence, Italie), Membre Correspondant de l’International Biographical Center de Cambridge (Grande Bretagne) et de l’American Biographical Institute (North Carolina, USA).
Mgr Tharcisse Thsibangu est également Co-fondateur de l’Institut des Hautes Etudes Africaines (Center for African Areas Studies, CAAS) de l’Université de Kyoto au Japon, Créateur et Directeur Général de l’Institut Africain d’Etudes prospectives (INADEP), Fondateur et Directeur Général du Centre d’Etudes égyptologiques Cheik Anta Diop (CECAD), Président du Conseil d’administration des Facultés Catholiques de Kinshasa.
Sur le chantier du travail scientifique, Mgr Tharcisse Tshibangu est certainement l’un des grands témoins du dialogue entre la foi chrétienne et la raison philosophique. Il a toujours milité pour que sans aucun préjugé, on accorde une place légitime et irremplaçable à la « science théologique » dans le corpus général qui va des sciences mathématiques aux sciences naturelles et physiques et plus haut aux sciences de la culture, sciences humaines et sciences du domaine spirituel et moral.
En effet le nom de Mgr T. Tshibangu est lié au débat épistémologique qui posait pour la première fois, de façon claire et nette, le problème théorique de la possibilité d’une théologie africaine. C’est le fameux débat entre le Doyen de la Faculté de théologien, le Chanoine Alfred Vanneste et son étudiant T. Tshibangu. Les recherches ultérieures amenèrent le savant congolais à traiter en fait, de façon beaucoup plus large, tout le problème du statut méthodologique de la théologie. Il soutiendra que la théologie comme science requiert une méthode fondamentalement positive, mais une positive intégrale et proposera ainsi les lignes propres d’une théologie africaine différente de la tradition théologique occidentale et dont les différences peuvent se fonder sur l’approche épistémologique, la structure spécifiée de la pensée religieuse traditionnelle, l’expérience humaine et spirituelle des codifications, l’application des principes du Christianisme aux situations propres des sociétés.
C’est que Mgr T. Tshibangu a su montrer avec beaucoup de pertinence et en même temps de façon très équilibrée dans ses travaux sur l’épistémologie théologique, c’est l’attestation d’un pluralisme incontournable (pluralisme théologique, pluralisme culturel, pluralisme éthique…) qui ne va pas dans le sens du relativisme sceptique mais qui promeut une conception dynamique de la vérité et soutient un dialogue fécond entre différentes sciences dans leur tâche de penser le réel et d’éclairer la destinée humaine.
C’est sur la base de la reconnaissance de ce pluralisme que Mgr T. Tshibangu a participé activement aux mouvements de pensée en Afrique et à travers le monde en vue d’établir et d’assurer à l’humanité une civilisation intégrée de valeurs techniques et scientifiques éprouvées et de valeurs éthiques et spirituelles.
Ajoutons que comme pasteur, Evêque auxiliaire de Kinshasa, puis Evêque de Mbuji-Mayi, le théologien Mgr T. Tshibangu a développé une ligne de pensée pastorale qui souligne la nécessité du travail théologique pour le service de la société. On découvre cette orientation théologique notamment dans la manière dont il assure la modération du synode diocésain de Kinshasa aux côtés de l’Eminent pasteur Cardinal J.A. Malula et dans les différentes orientations pastorales de la vie ecclésiale à Kinshasa, dans ses lettres pastorales comme évêque de Mbuji-Mayi et dans son opuscule à l’occasion de son jubilé épiscopal : « Prêtre et évêque au service de l’Eglise et de la société », et aussi dans les travaux de la Commission Episcopale pour la Doctrine de la foi de la CENCO dont il sera le Président et dans mission de Vice-Président de la CENCO. L’Université catholique rend donc un hommage vivant à cet éminent théologien devant l’histoire qui a su admirablement pratiquer une théologie qui dans ces deux mouvements d’ « intellectus quaerens fidem et fides quaerens intellectum » est aujourd’hui plus que jamais nécessaire dans notre monde pour rendre possible une symphonie des sciences et pour éviter les
dérives violentes d’une religiosité qui s’oppose à la raison et d’une raison qui s’oppose à la religion.
A l’heure où les Etats Généraux de l’Enseignement Supérieur en RD Congo ont engrangé une dynamique de refondation de l’université congolaise qui doit surtout créer, inventer, innover dans tous les domaines de la vie et proposer des solutions idoines aux enjeux globaux, la richesse et la fécondité des travaux de Mgr Tharcisse Tshibangu, et plus que tout la figure de ce savant congolais qui vient de fermer ses yeux à la lumière de ce monde, devraient à coup sûr contribuer à ouvrir un chantier de dialogue de diverses rationalités au service d’un meilleur avenir de l’homme sur le plan international, et bien entendu, particulièrement sur le plan congolais et à l’échelle continentale.
Kinshasa, le 03 janvier 2022
Prof. A. Léonard SANTEDI Kinkupu
Recteur
Université Catholique du Congo
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