Excellence Mgr le Nonce Apostolique,
Excellence Mgr Marcel UTEMBI, Archevêque de Kisangani, Président du Conseil d’Administration et Grand Chancelier de l’ Université Catholique du Congo (UCC),
Excellence Mgr l’Archevêque métropolitain de Kinshasa,
Excellences,
Honorables,
Chers Membres du CD,
Messieurs les Doyens,
Chers Membres du Corps académique et scientifique
Distingués invités à vos titres et qualités
Chers Etudiantes et Etudiants,
- C’est pour moi un bonheur immense et un plaisir réel que de vous saluer très chaleureusement et de vous souhaiter, au nom du Comité de Direction, au nom de toute la communauté universitaire de l’UCC et au mien propre, la cordiale bienvenue parmi nous à l’occasion de la tenue de la 31ème Semaine théologique de Kinshasa. C’est aussi pour moi, une opportunité de m’acquitter d’un agréable devoir, celui de vous exprimer ma profonde gratitude pour avoir répondu nombreux à l’invitation de notre Faculté de théologie pour participer à cette fête de l’esprit. Cela prouve, sans nul doute, l’intérêt que vous portez à notre Alma Mater et à ces différentes activités. Votre présence combien précieuse est pour toute notre communauté universitaire, un leitmotiv de garder toujours allumée cette « lumen super flumen » et de voguer sans cesse en haute mer, Duc in altum !
- Qu’il me soit permis dès l’abord de féliciter vivement le Doyen de la Faculté de théologie ainsi que toute son équipe de l’initiative qu’ils ont prise d’organiser cette 31ème Semaine théologique de Kinshasa sur le thème général de Religion et Politique : la vision de l’Eglise Catholique, thème qui est plus englobant et qui va plus loin en profondeur que celui des rapports entre l’Eglise et l’Etat. Ainsi que nous aurons sans nul doute à le constater à l’occasion et à l’issue de ce colloque, ce thème pose le problème capital et vital du rapport entre deux ordres fondamentaux pour la construction des sociétés et la réalisation de la destinée humaine : l’ordre religieux et l’ordre politique. Plus encore, après la tenue dans notre pays, des élections présidentielles, législatives nationales et provinciales où non seulement l’Eglise institution à travers la CENCO mais aussi des fidèles laïcs se sont fortement engagés jusqu’à verser leur sang, pour la réussite de ce processus, ce thème revêt d’une actualité on ne peut plus brûlante Cet engagement n’a pas manqué de susciter des questions qui nous interrogent et des interrogations qui nous questionnent sur la nature propre de ces deux ordres et la possibilité réelle, à quel prix, de leur collaboration. Certains se sont demandés jusqu’où pouvait aller le religieux dans la construction du vivre ensemble. D’autres se sont posé la question de savoir si dans un cadre laïc, l’ordre politique n’était pas autonome pour construire la cité ? Ne risquons-nous pas de sacraliser l’ordre politique rétorquaient certains, tandis que d’autres exigeaient à l’ordre religieux de rester dans les limites de la vie privée ? Autant de questions, autant de slogans qui méritaient que l’on se donne les moyens d’une prise de distance par rapport au flux des événements pour engager avec l’aide des spécialistes aux analyses pointues et pointillées, fines et fignolées, une réflexion sérieuse et approfondie en la matière. C’est donc le mérite incontestable et incontesté de la faculté de théologie de nous proposer ce cadre. Nous sommes convaincus que ce colloque apportera un plus non seulement dans la conception des rapports entre Religion et politique mais plus encore aidera à mieux penser les relations Eglise Etat pour l’avenir harmonieux de nos sociétés. Sans préjuger des résultats de ce colloque. Qu’il me soit permis d’indiquer quelques lignes de réflexions sur le sujet qui nous préoccupe.
- Quelle religion pour quelle politique? On assiste aujourd’hui à des inversions de tendance dans le champ religieux et politique. Avec la montée progressive des tendances émotionnelles et sacrales des religiosités portées par les nouveaux mouvements mystico-religieux, ces religiosités du brouhaha et du miraculisme, la religion devient un outil d’inversion des valeurs en pratiques qui détruisent la confiance des individus et alors il s’établit des relations complètement viciées entre spiritualité et politique. La religion se met au service d’une gestion politique complètement dévoyée, soit par indifférence des croyants aux enjeux sociaux de la foi, soit par choix délibéré de la part des escrocs du religieux qui soutiennent des gouvernements sans colonne vertébrale éthique ni compétence politico-économique avérée. Dans une telle situation où la foi est coupée de la raison et la politique privée de la spiritualité et de l’éthique, c’est la catastrophe pour la société[1]. Une religion sans raison tombe dans le fidéisme naïf, le fondamentalisme nébuleux et le spiritualisme désincarné, et une politique sans spiritualité et sans éthique n’est qu’une pantalonnade, une comédie burlesque, elle produit l’anarchie, consacre le règne de la corruption, de la dictature et au finish constitue la ruine de la société. Il faudrait donc plaider d’une part pour une religion qui comprend que le vrai culte de Dieu est celui qui permet à tout homme de vivre à son image et à sa ressemblance, celle qui met l’homme debout pour bâtir une société de paix et de solidarité et d’autre part pour des politiques qui comprennent qu’elles n’ont d’autres but que servir le bien commun pour la dignité de la personne humaine, l’établissement de la paix sociale et la construction des sociétés.
- Quelle collaboration entre l’Eglise et l’Etat? Ne pas confondre la communauté spirituelle et l’ordre politique. Le Pape Benoît XVI affirme : « L’Eglise ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’Etat, mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles sans lesquelles la justice, qui requiert aussi du renoncement, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être l’œuvre de l’Eglise, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois l’engagement: pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément l’Eglise[2]».
- Dans Evangelii gaudium, le Pape François, souligne bien à propos la distinction entre l’Eglise et l’Etat mais aussi leur lien profond. Pour lui, ce qui les relie c’est d’une part, «la fraternité commune de toute l’humanité et, d’autre part, la nécessité du combat pour la justice à laquelle l’Église ne peut pas se dérober. Mais leurs compétences sont distinctes. L’État joue un rôle fondamental qui ne peut être délégué, celui «de prendre soin et de promouvoir le bien commun de la société […] dans le respect des principes de subsidiarité et de solidarité[3]». Pour sa part, l’Église «propose toujours avec clarté les valeurs fondamentales de l’existence humaine, pour transmettre les convictions qui ensuite peuvent se traduire en actions politiques[4]». Tout comme l’État, l’Église n’a pas toutes les solutions aux problèmes sociaux et économiques. C’est pourquoi l’engagement de l’Église pour le bien commun se fait en collaboration avec l’Etat. En appelant à cette collaboration nous ne courrons pas pour autant le risque de tomber dans la politisation de la religion ni dans une sorte de sacralisation d’un projet politique déterminé. Ni sacralisation de l’Etat, ni sacralisation de l’Eglise.
- Il faut reconnaître le rôle positif de l’Etat et son domaine propre, tout en refusant la privatisation de la religion et de la foi. Le Pape François rend hommage à la noblesse de la politique. Il constate d’abord que cette noblesse de la politique est aujourd’hui menacée par les idéologies nihilistes et relativistes. Il soutient ensuite que la politique a besoin d’une ouverture à la transcendance. Comment en effet transformer la société si des croyants convaincus ne s’engagent pas dans les structures politiques de la société pour y apporter les convictions les plus nobles du christianisme et de l’humanité? Il demande enfin aux personnes qui s’engagent dans la politique et aux dirigeants des pays de recourir à Dieu afin qu’il inspire leurs plans[5]. Si le Pape François souligne la coresponsabilité entre l’Etat et l’Eglise, il laisse cependant entendre que c’est la mission de l’Eglise d’ouvrir la politique à la transcendance, en apprenant aux acteurs de l’Etat et des institutions sociales à écouter Dieu. Le Pape François reste donc convaincu qu’à partir d’une ouverture à la transcendance pourrait naître une nouvelle mentalité politique et économique, qui aiderait à dépasser la dichotomie absolue entre économie et bien commun social. Car, comme l’affirme si bien le Pape Benoît XVI, «l’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain, seul un humanisme ouvert à l’absolu peut nous guider dans la promotion et la réalisation des formes de vie sociale et civile – dans le cadre des structures, des institutions, des cultures et de l’ethos – en nous préservant du risque de devenir prisonnier des modes du moment »[6].
- De Quelle force dispose l4eglise pour transformer la société ? Redécouvrir la force de l’Evangile pour la transformation des sociétés. L’Evangile est une force de Dieu pour la transformation du monde. Bien sûr l’Evangile n’est pas un programme politique. Il n’en est pas moins vrai qu’il est une parole qui bouleverse toutes les organisations que les hommes se donnent pour conduire leur vie collective et qui fatalement, soumettent les pauvres aux riches, les faibles aux forts. L’Evangile « renverse les potentats de leurs trônes, élève les humbles, rassasie les affamés, renvoie les riches les mains vides ». Il est la parole subversive par excellence, il dévoile et désarticule les constructions humaines qui gouvernent la vie collective en s’imposant comme normales et éternelles. La force de l’Evangile est dangereuse pour ceux qui gouvernent en se fabriquant des dieux, en imposant comme sacré ce qui n’est que l’œuvre de leurs mains. Quand Dieu se fait connaître comme Dieu, les dieux tombent en poussière et les évidences qu’ils servaient à sacraliser s’effritent. Devant Dieu, qui seul est Dieu, plus rien n’est sacré, si ce n’est l’homme, à la mesure même de sa consécration à Dieu dans le service de ses frères.
- Tout est lié. La découverte de Dieu à la fois renverse les idoles et met en question toute société figée ou sacralisée dans la domination des puissants sur leurs esclaves. Parce que Dieu seul est dieu, il est impossible de laisser les dieux omniprésents capter l’adoration des hommes, il est impossible de laisser quelques-uns accaparer indéfiniment la richesse et le pouvoir. Très souvent, les relations Religion et Politique reposent sur les humeurs des dirigeants Le Politique pense facilement que l’Eglise empiète ses prérogatives et prétend que la place de l’Eglise est dans les édifices. On connaît les slogans du genre : Rendez à César ce qui est à césar et à dieu ce qui est à Dieu. Tout pouvoir vient de Dieu. L’Eglise doit-être au milieu du village, c’est-à-dire elle doit être neutre, en clair, le politique préconise le silence complice de l’Eglise. Mais n’est-ce pas que l’Eglise a pour mission de conduire au salut dans toutes ses dimensions spirituelles et temporelles ? L’Eglise a le devoir sacré d’accompagner le Peuple de Dieu vers les meilleures destinées pour ne pas se rendre coupable de la perdition de ce peuple lui confié par le Maître. « Toute Religion qui n’est pas capable de répondre aux problèmes sociaux, économiques et politiques de la société dans laquelle elle vit, n’a pas raison d’exister », disait Martin Luther King.
Comment une Eglise qui prêche, annonce l’avènement du Royaume des Cieux, l’avènement du Royaume de paix, de justice, de bonheur, de bien-être peut-elle être neutre, c’est-à-dire complice ? Ecoutons ce que dit à ce sujet le prix Nobel de la paix, je Mgr Desmond Tutu : « si tu es neutre en situation d’injustice, tu as choisi le parti de l’oppresseur ». Il faut le souligner à temps et à contre temps que le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent comme une dimension constitutive de la prédication de l’Evangile. Cette prédication est la mission de l’Eglise pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive » ([7]).
- Excellences,
- Distingués invités,
- Tout en vous réitérant mes remerciements pour votre présence qualitative et participative à ce colloque, j’adresse d’ores et déjà mes sincères remerciements à l’endroit des conférenciers et intervenants pour le temps investi et les efforts consentis à la conception des communications qui nourriront nos réflexions au. Je remercie aussi les organismes partenaires notamment l’Institut de Missiologie de Missio Aachen, qui nous ont apporté leur aide afin de mieux organiser ces assises. Je remercie de tout cœur la Conférence épiscopale Nationale du Congo, pouvoir organisateur de notre Université, pour les orientations décisives et l’impulsion capitale qu’elle ne cesse de nous apporter.
- Enfin, il ne me reste plus qu’à souhaiter à vous tous, auguste assemblée, un fructueux travail et un plein succès à cette rencontre hautement scientifique. Je confie ces assises ainsi que notre Alma Mater à la protection maternelle de la très Sainte Vierge Marie, notre Mère et Notre-Dame de Lumière. Qu’elle nous obtienne de son fils, la force d’apporter sa lumière dans un monde où Religion et politique, Eglise et Etat conjugueront leur spécificité pour le salut de l’humanité
Je vous remercie.
[1] Cf. KÄ MANA, « L’Eglise dans l’espace public en Afrique : reconstruire l’imaginaire africain pour une société du bonheur partagé », dans Théologie Africaine, Eglises et sociétés, Revue de l’Institut Catholique Missionnaire d’Abidjan, n. 10, (2016), p. 126-127
[2] BENOIT XVI, Lettre encyclique Deus caritas est, n.28
[3] FRANCOIS, Ibid. 240
[4] Ibid., 241
[5] B. UKWUIJE, La théologie politique d’Evangelii nuntiandi, dans J. MOLINARIO et F. MOOG (Dir.), La théologie et le travail de la Foi. Mélanges offerts à Henri-Jérôme GAGEY, Paris, Salvator, 2015, p.77. Voir aussi Evangelii gaudium, n.205
[6] BENOIT XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate, Conclusion.
[7] Doc. Catholique n° 1600 du 2 janvier 1972, pp 12-18.
Le Recteur
Prof. Abbé Léonard SANTEDI
Soyez le premier à commenter